Ensemencement des nuages : mais de quoi parle-t-on, et est-ce vraiment efficace ?
L’Iran mise cet automne sur l’ensemencement des nuages pour soulager une sécheresse exceptionnelle. La campagne, lancée le 15 novembre et appelée à durer jusqu’à la fin de la saison des pluies, doit aider à remplir des réservoirs quasi vides. La technique, connue depuis la fin des années 1940, nourrit pourtant un débat persistant sur son efficacité, ses impacts et ses usages géopolitiques.
Comment fonctionne l’ensemencement des nuages ?
Le procédé consiste à diffuser des noyaux de condensation ou de congélation dans des nuages déjà présents. Des substances comme l’iodure d’argent ou le chlorure de sodium servent de support aux gouttelettes : elles favorisent la cristallisation de la vapeur d’eau, alourdissent les particules et accélèrent leur chute sous forme de précipitations.
Plusieurs vecteurs sont utilisés : générateurs au sol, fusées dédiées, aéronefs volant dans ou à proximité des nuages ciblés. La méthode s’applique aussi bien à la pluie qu’à la neige et peut, dans certains contextes, viser à réduire la taille des grêlons.
Condition clé : la technique requiert des nuages propices et suffisamment chargés en humidité. Tous les nuages ne répondent pas, et l’absence de masses nuageuses actives réduit l’effet à néant. C’est la principale limite opérationnelle, bien documentée par les retours d’expérience.
Moyens, objectifs, limites
| Moyens | Objectifs concrets | Limites |
|---|---|---|
| Générateurs au sol | Alimentation continue en particules | Dépendance au vent et à la stabilité des couches basses |
| Fusées | Impulsion rapide dans un nuage ciblé | Fenêtre d’intervention courte, ciblage délicat |
| Avions | Traitement in situ des cellules actives | Coût, accès aérien, nécessité de nuages adaptés |
Iran : chiffres d’une sécheresse extrême et pari technologique
La situation hydrique est critique : les précipitations sont inférieures de 89 % à la moyenne nationale. Autour de 32 barrages, les réservoirs affichent moins de 5 % de remplissage, certains étant totalement à sec d’après l’imagerie satellite. À Téhéran, seulement 1 mm de pluie a été relevé depuis le début de l’année selon les autorités, entraînant une réduction nocturne de la distribution d’eau et, si la pluie n’arrive pas en décembre, la menace d’évacuations limitées.
Dans ce contexte, l’ensemencement se déroule de novembre à mai, période censée offrir des fenêtres nuageuses. Les experts rappellent toutefois que, pour recharger des réservoirs, il faut des nuages très humides. Or, dans un pays aride sans vastes plans d’eau favorisant l’évaporation, ces profils nuageux restent rares, d’où un scepticisme sur l’impact réel de la campagne.
Indicateurs clés
| Indicateur | Valeur | Commentaire |
|---|---|---|
| Déficit de pluie | -89 % vs moyenne | Crise hydrique généralisée |
| Niveau des réservoirs | 5 % (32 barrages) | Plusieurs bassins à sec |
| Pluie à Téhéran | 1 mm (année en cours) | Restrictions nocturnes d’eau |
| Période d’action | 15 nov. → fin de saison des pluies | Fenêtres nuageuses limitées |
Qui l’utilise, et pour quels objectifs ?
Une cinquantaine d’États ont expérimenté ou pratiquent l’ensemencement depuis la fin des années 1940. Les finalités varient : augmenter les apports en eau, sécuriser un événement, atténuer certains aléas, voire des usages militaires dans l’histoire.
| Pays / Contexte | Objectif | Retour d’expérience |
|---|---|---|
| Émirats arabes unis | Lutte contre la sécheresse | Campagnes régulières, effets revendiqués mais difficiles à attribuer |
| États-Unis (guerre du Vietnam) | Prolonger les pluies de mousson | Usage historique, résultats discutés |
| Chine (JO 2008) | Provoquer des pluies avant la cérémonie | Vitrine technologique, attribution incertaine |
| Inde (New Delhi) | Dissiper des nuages de pollution | Essai récent, sans succès |
| France (vignobles) | Réduire la taille des grêlons | Selon l’ANELFA, taille divisée par deux lors de gros orages |
La pratique a aussi été instrumentalisée dans des récits complotistes, assimilée à une géoingénierie cachée. Les sources scientifiques rappellent la nécessité de distinguer ces discours des évaluations techniques, fondées sur des mesures et sur des protocoles d’observation.
Efficacité mesurée, controverses persistantes
Il n’existe pas de consensus scientifique sur l’ampleur de l’effet. Certains programmes évoquent une hausse de 10 à 14 % des précipitations, mais la part exacte due à l’ensemencement reste difficile à isoler, tant les paramètres météo influencent les résultats. Des travaux récents, dont une étude sud-coréenne publiée en 2023, soulignent des effets mitigés selon les situations.
Deux contraintes ressortent : d’abord la disponibilité de nuages propices ; ensuite, la variabilité naturelle qui brouille l’attribution. Les campagnes sérieuses s’appuient sur des comparaisons entre zones traitées et non traitées, mais l’incertitude statistique demeure.
À l’échelle internationale, des chercheurs en stratégie, comme Marine de Guglielmo Weber (Irsem), appellent à une veille active des États engagés. La manipulation des nuages pourrait devenir un sujet de tensions, notamment dans les régions où l’eau est critique. Dans ce contexte, l’alerte est discutée publiquement, y compris à Marseille à l’occasion d’événements dédiés aux nuages.
Impacts environnementaux et pressions socio-économiques
Les particules injectées finissent par retomber au sol ou en mer, posant un possible problème environnemental. Les évaluations restent variables selon les substances et les contextes, d’où l’importance d’un suivi rigoureux des retombées.
Sur le terrain, les territoires qui recourent à l’ensemencement y voient un outil parmi d’autres face à la pénurie, mais la technique ne remplace pas la gestion de la demande. En Iran, les restrictions nocturnes d’eau et l’hypothèse d’évacuation partielle illustrent la pression immédiate sur l’approvisionnement lorsque la pluie ne revient pas.
FAQ
Peut-on ensemencer un ciel bleu ?
Non. Il faut des nuages contenant suffisamment d’humidité et répondant au traitement. Sans support nuageux, l’ensemencement est inopérant.
Quelles substances sont utilisées ?
Principalement l’iodure d’argent et le chlorure de sodium, diffusés par avions, fusées ou générateurs au sol pour déclencher la cristallisation des gouttes.
Les effets sont-ils prouvés ?
Ils sont hétérogènes. Des hausses de 10 à 14 % sont évoquées selon les contextes, mais la part attribuable à la technique reste difficile à isoler.
Quels pays y ont récemment eu recours ?
Parmi les exemples cités : Iran, Émirats arabes unis, États-Unis (Vietnam, historiquement), Chine (JO 2008), Inde (New Delhi), et des usages anti-grêle dans des vignobles en France.
La technique peut-elle créer des tensions entre États ?
Oui, des chercheurs soulignent un risque de tensions géopolitiques liées à l’appropriation de ressources météorologiques, d’où l’importance d’une veille stratégique.